Interpellation de Mohamed Chebaa, Conseiller communal PTB+, sur le racisme et la discrimination
Depuis 2012, en compagnie de Mie Branders et de Peter Mertens, Mohamed Chebaa siège au conseil communal anversois. Lors de la séance du 19 novembre, il a fait l’intervention qui suit sur le racisme et la discrimination.
Le plan pluriannuel de ces autorités communales consacre beaucoup
d’attention à la diversité et à la discrimination. Chaque fois, une
solution est proposée : apprendre le néerlandais. La discrimination
disparaîtrait donc en parlant mieux le néerlandais. Imaginez que, l’an
prochain, chacun dans cette ville parle et écrive suffisamment le
néerlandais : le problème de la discrimination sur le marché de l’emploi
sera-t-il pour autant résolu ? N’y aura-t-il plus de discrimination non
plus sur le marché du logement ? Le personnel de la Ville sera-t-il
brusquement le reflet de la composition de la population ?
Tout le monde connaît la réponse : non. Parce qu’il ne s’agit pas que
de la connaissance, mais aussi d’un problème bien plus fondamental : le
racisme. L’un dans l’autre, les documents de ce conseil communal
comptent 1588 pages, mais le mot « racisme » n’y figure nulle part. Ce
n’est pas parce qu’on ne nomme pas le problème qu’il n’existe pas.
Mais, et c’est bien plus grave, en ne nommant pas le problème, on ne
l’abordera pas non plus.
« Le racisme est un concept relatif qui est surtout utilisé comme
excuse pour des échecs personnels. » « Il y a bien moins de racisme que
nous ne le pensons. Nous nourrissons le racisme en en parlant. » Voilà
ce que ce collège, ou du moins l’échevine Homans, pense du racisme.
Navré. Avez-vous la moindre idée de la douleur que ce genre de
discours provoque chez les demandeurs d’emploi qui parlent néerlandais
et son nés ici, ont obtenu un diplôme mais qui, hélas, en raison de leur
aspect extérieur, de leur origine, de leur nom, de leur foulard, de
leur adresse postale, etc., n’ont aucune chance de s’affirmer, de faire
leurs preuves ?
Dans le plan pluriannuel de ces autorités communales, nous trouvons
l’objectif suivant : « Tous les Anversois disposent de chances égales de
participer à la communauté urbaine et de lui donner activement une
forme. » Vous feriez mieux de changer cela en : tous les Anversois qui
ne portent pas le foulard… Le concept d’« égalité des chances » est ici
très relatif. Une jeune fille ou une femme avec un foulard est
confrontée à un choix : avoir du travail ou porter un foulard. Il manque
de professeurs dans l’enseignement. Nous devons aller les chercher aux
Pays-Bas ou dans ce qu’on appelle le « courant parallèle ». Mais
moi-même je connais au moins cinq jeunes enseignantes capables et
dynamiques qui ne parviennent pas à décrocher du travail dans
l’enseignement de notre ville. Pas parce qu’elles manquent de capacités,
mais bien parce qu’elles portent un foulard.
« Chaque Anversois peut vivre sa propre conception de la vie dans des
conditions optimales, tout en respectant les autres Anversois. » Mais
nous allons rendre les choses un peu plus difficiles pour certains que
pour d’autres. Par exemple, via une taxe vexatoire sur la fête du
sacrifice.
Tout le monde doit apprendre le néerlandais, mais les listes
d’attente pour les formations supérieures sont environ longues d’un mois
et celles des formations inférieures vont même jusqu’à deux ans !
Égalité des chances ?
Tout fonctionnera sans doute mieux avec moins de personnel et plus de
bénévoles. Plus d’efficacité de la part du personnel qui reste : ce qui
me fait me poser la question de savoir si, l’an dernier, tous étaient
assis à se tourner les pouces. On a déjà économisé 6 % sur le
personnel. Ils travaillent déjà avec beaucoup plus d’efficacité et, de
ce fait, le service est déjà moins proche des gens. Les attentes
concernant les bénévoles sont très hautes et me semblent
particulièrement irréalistes.
À l’adresse particulière de l’échevin du Port, je voudrais encore
dire quelque chose sur la diversité et le racisme. Nous sommes nés ici,
nous avons fréquenté des écoles anversoises, nous parlons le
néerlandais, et même l’anversois, si vous le souhaitez. Nous avons
obtenu ici un, voire parfois plusieurs diplômes. Et pourtant : parce que
je m’appelle Mohamed, mes chances de débuter dans le port d’Anvers sont
minimes. Regardez autour de vous : c’est un port blanc ; de diversité,
il n’est nullement question. N’est-il pas grand temps de créer une
task-force, avec des chiffres et des objectifs à atteindre ? Le racisme
institutionnel ne peut être abordé que par une saine gestion et une
prise de décision politique.
Le PTB+ a dénoncé les codes chez Adecco : Bleu Blanc Belge. Des
dizaines d’entreprises demandent de ne pas embaucher de travailleurs
d’origine immigrée. Volt a réalisé des reportages sous le manteau et a
dévoilé la discrimination raciste sur le marché de l’emploi chez 6
agences d’intérim sur 8. Federgon, l’organisation patronale du secteur
intérimaire, a dû elle-même admettre que 28 % des agences répondaient de
façon positive aux demandes discriminatoires. Pas un mot à ce sujet
dans le plan concernant le chômage des jeunes : comment est-ce
possible ? Le racisme ne cesse de croître quand on n’en parle pas,
Madame Homans ! Les chiffres sont là. Les histoires derrière les
chiffres aussi. Des preuves formelles de racisme dans les reportages,
les tests et les études, il y en a aussi, hélas.
Quand je sais que mon père ou ma mère n’ont pas eu la moindre chance
en raison de cette saleté de racisme, qu’ils n’ont pas pu s’épanouir,
qu’ils ne se sont pas bien sentis dans leur peau, alors, moi-même, je
vais me mettre aussi à douter de mon avenir. Me demander si mes études
vont m’aider dans ce climat raciste, me demander si un diplôme va
vraiment m’ouvrir des portes. Et non seulement moi, mais aussi mes
enfants, et leurs enfants. Que dois-je alors leur raconter ? Dois-je me
taire, comme vous le faites ? Toute une communauté est en butte à ces
mécanismes d’exclusion. Et cela nous préoccupe beaucoup. Ce n’est pas un
problème relatif mais un problème absolument et objectivement
constatable. Et donc, oui, je parle d’un port blanc.
Par diversité, je comprends : travailler ensemble, essayer de se
comprendre les uns les autres, apprendre à se mieux connaître, éliminer
ses préjugés. Oui, vous m’avez bien entendu : é-li-mi-ner ! Or de
nombreux jeunes Anversois sont confrontés à un autre discours : « Vu
votre personnalité, vous n’entrez pas en ligne de compte » voire même
« tu n’es qu’un sale macaque ! » Personne ne peut sous-estimer l’effet
de ces choses.
Dans ce budget pluriannuel, nous ne pouvons trouver nulle part la
façon dont vous allez enlever cette lourde chape de racisme de nos
épaules. Mais cela n’a rien d’étonnant non plus. Vous ne voyez pas le
problème. Ou vous l’estimez « relatif ». Vous ne le citez pas, donc il
n’existe pas. Et il n’y a donc rien à résoudre.
Au nom de toutes les personnes qui ont une autre couleur de peau, une
autre origine, une autre langue maternelle, un nom de famille qui sonne
étranger et un code postal quelque part du côté de Borgerhout, je dis :
faites votre devoir. Et tant que le mot racisme ne sera pas évoqué,
vous n’arriverez pas au fond du problème.
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